Day 131 PCT : North Cascades National Park - Stehekin - km 4140
- vincentsouverain51
- 9 mai
- 8 min de lecture
29 août 2022 : 18 mi / 29 km - D+ 500m / D- 1530m - Total : 2600 mi / 4151 km

Je me disais bien qu’il était prématuré de rédiger ma petite liste de déboires que chaque journée m’apporte depuis que j’ai quitté Snowqualmie.
Aujourd’hui ne déroge pas à cette impitoyable loi des séries.
Mais avant de raconter la tuile du jour, quelques mots de cette journée que je démarre sans Baloo, qui a clairement opté pour une petite grasse mat’.
Star, elle, est déjà partie lorsque je commence à écarquiller les yeux.
Je suis réveillé par le son des pikas qui trahissent leur fuite par des cris devenus plus stridents. J’ai remarqué que cet animal affectionne particulièrement les éboulis de pierres. Sans doute pour pouvoir rapidement s’y réfugier. J’en avais déjà vu un hier soir en arrivant. C’est un animal difficile à saisir, encore plus fuyant et prudent qu’un écureuil. C’est un joli croisement entre la souris, l’écureuil et le lapin par son pelage brun gris, mais avec des oreilles plus courtes.

Aujourd’hui, je rallie Stehekin et plus que d’habitude, je ressens cette excitation d’arriver à une « ville » étape, synonyme de ravito, de repos, de douche et du triptyque : bière, glace, soda !
Stehekin est spéciale donc car c’est tout simplement la dernière « ville » avant l’arrivée au Canada. Je mets "ville" entre guillemets car comme beaucoup de lieux étapes, on ne peut pas vraiment parler de villes, ni même de villages. Bled paumé ?
Stehekin est particulièrement atypique car c’est une sorte de « resort » bordé d’un lac et de quelques chalets qu’on appelle « cabins » qui n’est accessible que par la piste si vous randonnez, par le ferry si vous arrivez en voiture ou par hydravion si vous avez les poches un peu plus pleines.
Quelques scènes de films sont souvent tournées ici lorsqu’il s’agit d’évoquer les Alpes sauvages du Washington avec un côté résolument bucolique mais aussi fantastique : Captain Fantastic, The Deer Hunter, the Ring…


Pour le randonneur, cela fait partie des sites emblématiques quand on prépare son PCT. On se dit que ce serait incroyable d’arriver jusque là sans trop oser pousser plus loin la pensée.
Je me souviens que ce qui m’avait marqué, comme beaucoup je crois, c’est la Poste, car d’abord c’est un des seuls bâtiments de Stehekin et ensuite, cela marque le dernier ravitaillement du PCT avant de terminer en 4 ou 5 jours maximum. Comme a priori, il n’y a pas de magasins d’alimentation ici, l’envoi d’un colis est nécessaire. Le mien, envoyé par Géraldine il y a quelques jours, doit normalement m’attendre.

Je démarre en ressortant du pierrier où j’avais trouvé refuge pour la nuit et en longeant une rivière que j’espère ne pas avoir à traverser étant donné la densité et la largeur. Mais mon point GPS sur l’appli FarOut est sans appel, je vais devoir, dans quelques mètres, passer de l’autre côté.
Comme ces derniers jours dans le Washington, cette journée même si elle sera assez courte, comportera son lot de difficultés.
L’enchevêtrement de troncs tels des mikados empêche de voir correctement l’endroit où je vais pouvoir traverser. J’aperçois Star accompagnée d’un petit groupe de l’autre côté de la rive qui m’indique par des signes l’endroit où il faut traverser.
Pas le choix que d’emprunter un rondin assez étroit mais heureusement sec. L’habitude des franchissements pourrait me donner du courage, mais c’est plutôt le manque de choix qui me décide à y aller sans trop réfléchir. Je me donne du courage en me parlant. C’est un peu ridicule mais ça marche et je suis soulagé d’avoir réussi mon passage.
J’ai entendu dire qu’il y avait une organisation de navettes sur la piste qui permet de rejoindre Stehekin. Aussi, je presse un peu le pas pour essayer d’y être vers midi.
Cette matinée se révèle agréable, le sentier n’est pas dur, ni perturbé, ni escarpé, et la vue sur les cimes enchevêtrées est bien dégagée. Elles laissent espérer le Canada. Un pilier en bois m’indique que je suis dans le Parc National de North Cascades.

J’arrive vers 13h sur un joli pont en dessous duquel serpente une belle eau turquoise.


J’aperçois un bus mais arrive hélas un peu trop tard. Il vient de partir. Je dois attendre le prochain dans une heure.
Je suis au High Bridge Campground, le point d’intersection qui permet de reprendre le PCT après la halte à Stehekin.
Je suis rejoint par Star et quelques autres hikers, dont ceux qui reviennent bien frais de Stehekin et qui nous vaente la beauté du site.
Parmi eux, je reconnais Fat Bitch, une jeune randonneuse que j’avais croisée au tout début de la Californie et qui accompagnait un irlandais les 3/4 du temps éméché. Elle semblait un peu timide et peu aguerrie à la randonnée. Je devine par son nom de trail qu’elle s’est un peu endurcie. Elle a désormais un look à la Lara Croft. Je n’ose penser au sens littérale de ce surnom.
L’ambiance est détendue et très sympathique. Un jeune randonneur se met à jouer de l’harmonica.
Le bus arrive et nous emmène donc à Stehekin en faisant un arrêt à une bakery apparemment incontournable. On y trouve apparemment les meilleurs Cinamon Rolls de tout le PCT. Pas de bol, moi qui ai horreur de la cannelle. Je m’y arrête tout de même pour prendre un sandwich et quelques boissons fraiches. Pas la peine de m’encombrer, mon dernier colis m’attend et je vais pouvoir repartir avec le plein de nourriture et le sac bien chargé.
Le bus repart après 15 minutes et nous dépose donc à Stehekin.

Comme à chaque arrivée d’une étape, je sens tout le poids de la fatigue me tomber dessus d’un coup. Malgré la beauté du paysage alentour et du lac, je me sens un peu perdu. Je me renseigne tout de suite sur le campground et s’il reste de la place pour passer la nuit. Il reste quelques places mais avant de m’installer, je file à la fameuse Poste pour récupérer mon colis.
Le lieu est un tel capharnaüm de colis enchevêtrés dans toutes les pièces que le facteur, postmaster et responsable du lieu, a mis en place un système de numération et d’entrées par vagues. Je me rends compte que les hikers du PCT ont tous misé sur ce dernier lieu avant de filer à la frontière canadienne. Certains, trop pressés, ont sans doute fait l’impasse sur Stehekin car il y a beaucoup trop de colis en attente. La Poste ne suffisant pas, le logement de fonction du facteur situé au dessus de la Poste, sert de stockage. Il faut du temps pour qu’il retrouve mon colis mais enfin, il me le tend. Ça y est, je peux dire que toute la logistique que j’ai mise en place depuis le début a parfaitement fonctionné, grâce à mon amie Géraldine.
Le postmaster me gratifie d’un petit cadeau. Je ne m’attendais à ce que ce soit lui mon dernier Trail angel. Il m’oriente vers le bord du lac, en contrebas de la Poste, où il a déposé une glacière remplie de canettes de bière bien fraîches. J'y file et me régale de deux Coors lite !

Ma joie est de courte durée, le poids de mon colis m’inquiète. Il est anormalement léger pour un colis qui contient de la nourriture. Je m’empresse de l’ouvrir et constate sur le dessus 2 sachets de nourriture lyophilisée. Tout va bien.
Je retourne vers le campement et m’installe à une table à l’ombre remplie de hikers qui font le plein comme moi. Je déballe mon colis et ma crainte du début se confirme. Sous les 2 sachets de nourriture se trouvent des vêtements. Je me souviens alors que j’avais préparé 2 colis pour ma dernière étape, 1 de nourriture, celui que devait m’envoyer Géraldine et 1 de vêtements de rechange que j’avais préparé pour mon arrivée et que Géraldine devait m’apporter puisque nous avons prévu de nous voir à Seattle. Hélas, Géraldine en voyant les 2 sachets de nourriture a cru que c’était le colis de nourriture.
Je suis dépité, car je n’ai plus de nourriture à part ces 2 sachets et il me reste une petite semaine de marche. Je dois absolument trouver de quoi me ravitailler.
Je tente le petit magasin attenant au seul hôtel de Stehekin, mais il est désespérément dépourvu de nourriture pour les hikers. C'est étonnant pour un lieu qui est un passage quasi obligé du parcours.
J'ai beau me creuser la tête, il ne me reste plus qu'une solution, me rendre à Mazama, ce village dont j'entends de plus en plus parlé parce c'est l'endroit où reviennent les hikers qui ont terminé le PCT car c'est de là qu'on peut reprendre la route pour le Sud ou pour aller à Seattle.
Plusieurs raisons me rebutent à aller à Mazama. D'une part, je sens que la fin de l'aventure approche et je n'ai plus l'état d'esprit aux égarements et aux haltes. Ensuite, je sais que cela ne va pas être simple de s'y rendre. ll faut rejoindre la Cascades Highway et trouver un "hitch" pour y aller. Cela m'obligera à prendre une demi-journée voire plus de repos. Enfin, mon PCT n'est pas encore terminé, je veux profiter des derniers jours, rester focus sur mon chemin et ne pas croiser les finishers, qui sont dans un autre état d'esprit et sans doute en train de célébrer leurs 5 mois de crapahutage sous des futs de bière débordants.
Stehekin n'est pas le lieu, ni le moment que j'espérais. C'est comme ça. Comme déjà parfois évoqué, on ne tombe pas en béatitude devant chaque paysage, si beau soit-il. Sans doute que j'ai trop attendu de ce moment et que j'ai trop anticipé des images déjà trop ancrées. Je pense aussi qu'il s'agit simplement du moment et pas du lieu en tant que tel.
Alors, oui cette ultime (enfin j'espère) mésaventure n'aide pas, mais j'ai senti depuis mon arrivée ici que quelque chose clochait. "wrong time, wrong place".
Bye Stehekin, pour gagner du temps et malgré l'épuisement physique, physiologique et nerveux, je récupère un simili de courage pour enfiler mon sac et tailler la route.
Je décide de repartir dès la fin d'après-midi pour entamer un bout du chemin que j'avais prévu pour demain et me poser dans le 1er campground que je trouverai.


Je compte sur la dernière navette de 16h30 pour me ramener au point de jonction du PCT. Je me dépêche car il faut que je renvoie mon colis de vêtements à Géraldine. Je ne vais pas en plus me trimbaler des fringues de rechange. Le postmaster est tout surpris de me revoir débarquer avec mon colis dans les mains.
En sortant de la Poste, je regarde, impuissant, la navette filer devant mes yeux. Je viens de rater le bus ! Plus qu'à me taper 2h de bitume en plus pour rejoindre l’embranchement du chemin. Je n'y serai pas avant 18h30 ce qui me promet quelques heures de marche de nuit.
Cette journée est décidément une histoire de bus ratés.
Malgré tout, je réussis à trouver une place dans un minibus affrété par un ranch-restaurant qui emmène quelques clients hikers dans un restaurant à quelque kilomètres de là. Je n’aurai qu’ 1h45 de marche. C’est déjà ça.
Arrivé à High Bridge, l’embranchement de tout à l’heure, j’enquille sans tarder sur le chemin du PCT. Il est presque 19h, et je décide de rejoindre le premier campement que je trouverai. Ce sera au prix d’une belle grimpette de 8 kilomètres environ. Je ne sais pas trop quelle heure il est quand j’arrive à Bridge Creek, toutes les tentes sont silencieuses. Je monte ma tente à l’arrache, accélère ma routine habituelle, de toute façon, je n’ai plus grand chose à manger, remplis mes gourdes et au lit. Ma satisfaction est de m’être rapproché de la North Cascades Highway pour faire du stop demain pour me rendre à Mazama.
Il ne faudra pas arriver trop tard car je sens que l'homme seul, à l'air miteux avec une barbe de 5 mois, aura du mal à se faire prendre en autostop.


Komentarze