Day 61 PCT : Sonora pass - Kennedy Meadows North - Km 1636
- vincentsouverain51
- 16 juil. 2022
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 janv. 2023
20 juin 2022 : 20 mi / 33 km - D+ 1100m / D- 1050m - Total : 1078 miles / 1733 km
Il y a des matins où il est vraiment difficile de sortir de la tente. Souvent parce que j’aimerais dormir un peu plus.
Ce matin, c’est le froid qui me donne envie de rester sous mon duvet.
Dormir près d’un lac, avec les règles qui s’imposent, a l’avantage principal de se réveiller avec une vue magnifique. L’inconvénient est l’humidité, surtout quand il fait déjà très froid. Cette nuit, les températures sont descendues en dessous de zéro et l’extrémité de mon duvet laisse des petits cristaux de glace.
Quant à mes chaussures, comme je l’avais craint la veille, bien que laissées pour une fois dans ma tente, ce sont 2 blocs de bétons glacés !
Dans cette situation, j’essaye de ne pas trop réfléchir, je m’habille à la hâte, en évacuant la sensation désagréable des habits froids et moites. Mes chaussettes n’ont évidemment pas eu le temps de sécher.
Il me faut bien 10 minutes pour arriver à enfiler à la fois mes chaussettes et mes chaussures, qui me semblent avoir rétréci de plusieurs tailles en 1 nuit.
Je suis obligé de donner des coups sur le talon pour les enfiler.
Une fois l’opération réussie, je ne sens plus mes pieds, engourdis par le froid et l’humidité.
Je commence à marcher péniblement, avec la sensation d’avoir des chaînes aux pieds, surtout que le début du sentier est comme je l’avais laissé en arrivant hier, boueux.
Il faudra une bonne heure pour que j’arrive à avoir un début de sensation de décongélation, et une autre heure pour que j’arrive à ressentir le réchauffement de tous mes orteils.
Mon esprit peut enfin se projeter sur la 1ere chose importante de la journée : le passage des 1000 miles !
Le franchissement d’une centaine a toujours quelque chose d’un peu ludique. Juste avant, je cherche toujours où va se trouver le marquage et comment.
Les 1000 miles ne sont pas durs à trouver, j’entends et je vois déjà un rassemblement de randonneurs dans une descente. C’est là et et ce sont mes compagnons de route, Sweeper et Hide N' Seek. Les congratulations sont discrètes mais sont là. Je rajoute une hola, comme dans les stades, pour marquer un peu plus le coup.
Il est difficile malgré tout de décrire ce que je ressens. De la fierté évidemment et beaucoup de joie mais le marqueur ne déclenche pas forcément des tonnes de sentiments.
Les sentiments n’arrivent pas sur commande et sont plus diffus et spontanés dans une journée.
Je ne boude pour autant pas mon plaisir et prends mon temps de savourer ces 1000 miles avec un café et plusieurs vidéos et photos.
L’autre fait marquant de la journée est le passage du col de Sonora. Marquant à plusieurs titres, parce que c’est un col et qu’il faut le grimper, et parce que le sommet de ce col et l’arrivée ensuite à Kennedy Meadows North marque la fin des Sierras. En tout cas, des hautes sierras et de la partie la plus élevée et la plus montagnarde du PCT.
La fin officielle des Sierras est la petite ville de Belden.
La montée dans les névés se passe très bien, et au sommet, je ressens un très grand plaisir. Je prends le temps de me retourner et d’observer toute la chaîne des Sierras qui se trouve désormais derrière moi et la forêt au dessous que j’ai traversée avant d’arriver au col et qui symbolise le profil type d’une journée passée dans les sierras : forêts luxuriantes, rivières abondantes, cols granitiques et parfois rugueux.
C’est ce genre de panorama qui convoque de multiples sensations et qui donne le sentiment d’accomplissement et d’enrichissement.
Je continue d’avancer le long d’une crête en pensant que le plus dur a été fait.
Hélas, j’ai sous-estimé le reste de la journée qui au fur et à mesure s’avère de plus en plus pénible pour moi.
Cette crête offre de superbes vues sur un paysage qui change réellement. D´ailleurs, je tombe sur une vue qui me fait vraiment penser au Roc des vents dans le beaufortain, l’occasion de faire un clin d’oeil à mes amis savoyards.
Mais cette crête ne cesse de s’élever insidieusement.
Au point de basculement sur le versant Est, je ressens d’un coup une très grosse fatigue mentale.
Je pensais en fait que le col était en haut de la montée alors qu’il est beaucoup plus loin.
De longues traversées de névés que je n’attendais pas, n’aident pas.
Je finis par m’arrêter de lassitude en plein milieu du chemin où coule un léger filet d’eau.
Ce genre de pause habituellement salutaire ne me requinque pas vraiment.
J’attends avec impatience la descente pour aller à la jonction qui me permettra d’aller à KENNEDY Meadows North.
Mais lorsque je finis par y arriver, je suis encore plus démoralisé.
Je vois du sommet la route devant moi en me disant que j’y serai bientôt mais je vois aussi de longs lacets qui partent dans des directions opposées et par lesquels il faudra passer.
Rares sont les journées où je peste, Il n’y en a pas eu encore à vrai dire mais cet après-midi là, je lâche pas mal d’injures en français et à hautes voix.
C’est mon après-midi la plus interminable, la plus épuisante et la plus galère depuis le début. Sans l’ombre d’un doute.
Je savais que ça arriverait au moins une fois sur cette aventure, et c’était aujourd’hui.
L’auto-stop en arrivant à la route est du même registre. Il n’y a pas loin pour arriver à Kennedy Meadows North, mais c’est une route de montagne pentue et sinueuse.
Pour la première fois, je mets du temps à être pris, et c’est quand le sentiment d’abandon me gagne avec un pouce levé sans grande conviction qu’un jeune couple finit par s’arrêter.
Ils sont très sympas et très curieux de mon périple. La fille est actrice de théâtre et son mari ingénieur Hugh tech.
Ils m’emmènent, sur leur route pour San Francisco, jusqu’à Kennedy Meadows North.
En me déposant, ils m’offrent du brie et du saumon, qu’ils avaient conservés dans leur glacière.
C’est marrant car, dans la voiture, nous discutions du film « Wild » qui a popularisé le PCT, et justement en arrivant je reconnais, une des scènes phares du film où l’héroïne, épuisée, arrive à Kennedy Meadows North sous des applaudissements.
Je n’ai pas droit aux applaudissements mais je suis autant épuisé !
C’était donc une journée avec des sentiments très divers et très opposés, entre plénitude et fatigue morale.
Grosse journée que celle ci Isaiah . J'espère que le brie t'a requinqué. 💪